mercredi 23 mai 2012

QUE FAIRE DE LA RHIZOSPHERE ?


QUE FAIRE DE LA RHIZOSPHERE ?
 
La plante cultivée est l’interface entre deux systèmes : l’atmosphère et le sol. Le végétal est loin d’être passif dans son environnement. Si les échanges aériens, énergétique ou gazeux (eau, gaz carbonique…), sont assez bien décrits, les échanges entre la plante et le sol restent peu connus, car, par nature, difficiles à appréhender.
La constance de la circulation d’eau et de solutés (ions ou molécules) est à la base de la vie du végétal ; elle est sous le contrôle de l’énergie reçue par les feuilles et sous la dépendance du bon fonctionnement racinaire. Les transferts sols / racines sont beaucoup plus complexes que les transferts atmosphère / feuilles. Ils s’effectuent au niveau de la rhizosphère, lieu mythique du physiologiste et de l’agronome.
 
Rhizosphère et « Productions » Racinaires : La rhizosphère est le volume occupé par les racines d’une plante ou influencé par elles. C’est la zone d’échange entre le végétal et le substrat, totalement colonisée par les micro-organismes. Le terme d’échange est ici essentiel. Dès qu’un végétal est capable de synthétiser des substances organiques, il en destine  une partie à la croissance radiculaire mais aussi à la nutrition des micro-organismes, grâce aux « productions » racinaires (exsudats à diffusion passive, sécrétions consommant de l’énergie, cellules mortes et lysats).
Ces émissions racinaires peuvent représenter jusqu’à 30% des produits de la photosynthèse.  La part énergétique utilisée par la « consommation racinaire »,  regroupant les émissions racinaires et la croissance radiculaire, est même parfois concurrente de la partie aérienne (cas de chute physiologique en cerisiers par exemple).
Les exsudats et sécrétions sont constitués majoritairement de mucilages (mélange de sucres complexes et de protéines devenant visqueux au contact de l’eau) mais aussi de sucres simples, d’acides aminés, d’enzymes, de phénols, d’hormones, de vitamines….
 
Ils ont un rôle fondamental car :
  • Ils protègent l’extrémité (méristème apical) de la racine permettant son élongation (avec une grande analogie avec les méristème apicaux des organes aériens, notamment en termes de régulation hormonale).
  • Ils participent, par l’effet « colle » des mucilages, à la cohésion des particules du sol en complément des substances émises par les micro-organismes. Cet effet, sur la porosité, souvent appelé « faux complexe », est pourtant, dans certains types de sols ou climats, plus présent que celui lié au fameux Complexe Argilo Humique.
  • Ils augmentent les possibilités d’adaptation et de résistance des végétaux.
  • Ils permettent la phytoremédiation (dépollution du sol ou de l’eau par les plantes) notamment en complexant les Eléments Traces Métalliques.
  • Ils ont parfois un effet télétoxiques (émission, pour éviter la concurrence, de substances toxiques aux autres espèces, voire aux graines ou plants de la même espèce) et expliquent en partie les phénomènes de « fatigue des sols ».
  • Ils assurent la fourniture énergétique de nombreux micro et macro organismes du sol qui, en retour, favorisent la croissance et de développement de la plante. L’activité et la biomasse microbienne sont toujours plus importantes (on parle souvent d’un facteur 100) dans un sol avec racines que dans un sol sans racines.
Rhizosphère et RhizodépositionLes caractéristiques et spécificités de la rhizosphère sont en grande partie déterminées par la nature des productions racinaires, la plante essayant ainsi d’adapter et de contrôler son environnement. Il a été observé, par exemple, que la composition des exsudats varie en fonction de tel ou tel stress subi par la partie aérienne du végétal. Cette injection directe de carbone par les racines constitue la rhizodéposition. Ce phénomène, qui pourrait représenter jusqu’à  40% des entrées de carbone au sol, est rarement pris en compte dans les calculs.
Les recherches sur la quantification et la modélisation de la rhizodéposition, en lien avec l’architecture racinaire, ont une grande importance pour comprendre la mise à disposition des éléments minéraux du sol à la plante. A terme, peut-on contrôler et stimuler la rhizodéposition ?  Des essais sur maïs ou plantes maraîchères semblent très prometteurs.
 
Rhizosphère et Acidification
Avec l’action physique des racines et l’exsudation, le contrôle du pH est la troisième action possible du végétal pour modifier son environnement racinaire. Le pH de la rhizosphère est le plus souvent différent de celui du sol ambiant, un écart de 2 points étant fréquent. Cela améliore la solubilité et la mise à disposition des éléments nutritifs.
L’intensité de la vie biologique dans la rhizosphère, la production d’acide carbonique due à la respiration, expliquent cette variation de pH, mais les cellules racinaires peuvent également excréter des protons ou des acides organiques pour maintenir les équilibres ioniques. Le solde est souvent une acidification, mais une alcalinisation du milieu est parfois possible.
 
 
Rhizosphère et Micro-Organismes Ce n’est pas l’objet de cet Agro-Reporter, il en faudrait plusieurs, de lister les organismes intervenant sur la rhizosphère souvent spécifiques à telle ou telle espèce : bactéries, champignons,nématodes, protozoaires, collemboles… De même, leurs interventions sur le végétal sont nombreuses : directes (solubilisations, synthèse de substances de croissance, protection contre les pathogènes, fixation d’azote….) ou indirectes (sources de composés carbonés facilement assimilables). Un prochain Agro-Reporter développera, du fait de son importance, la notion de mycorhizosphère.
A noter que la respiration des racines et des microorganismes de la rhizosphère consomme de l’oxygène et diminue le potentiel d’oxydo-réduction local, ce qui facilite l’absorption de certains cations, le fer notamment.
 
Rhizosphère et Solution du SolLa solution du sol est l'eau contenant des éléments minéraux dissous et chargés électriquement qui circule dans les espaces libres ou pores du sol. C’est le lien entre la terre au sens strict et la rhizosphère.
L’analyse de la solution du sol au laboratoire (qu’elle provienne d’un Extrait à l’Eau, d’une Pâte Saturée ou d’un prélèvement lysimétrique) donne un aperçu de la mise à disposition minérale du sol en lien avec le Complexe Argilo Humique et les risques de blocage (pH…). Surtout utilisée en maraîchage et en grande culture (les reliquats azotés étant des extraits à l’eau) et dans les sols à risque de salinité, l’analyse de la solution du sol apporte des informations pertinentes sur la disponibilité de tel ou tel élément minéral et prend tout son intérêt quand on la compare à l’analyse de sol « classique » ( par extraction forte). Par contre, elle reste très éloignée, dans sa composition, de « l’eau rhizosphérique ».
La prise en compte analytique de la rhizosphère est en effet techniquement difficile, voire impossible. Cela explique, par exemple, les difficultés d’approche analytique du phosphore réellement disponible à la plante (le « Graal de tout agrochimiste ») tant les liens de cet élément avec la biologie du sol sont complexes.
 
Que faire de la Rhizosphère ?
La rhizosphère est le point de rencontre entre le monde végétal, biologique et minéral. On comprend que l’on est face à de multiples phénomènes totalement dynamiques et intimement liés entre eux, difficiles  à appréhender.
Pour l’instant, les outils d’analyses utilisables en agronomie permettrent d’apprécier le potentiel (sol, extrait à l’eau) et le résultat (analyses de végétaux), mais pas directement la rhizosphère. Les nouvelles approches, notamment les quantifications du niveau et de l’activité biologique apportent des informations exploitables. On peut parler également de la distinction à faire entre le sol non rhizosphérique et le sol rhizosphérique, profondément modifié par les racines et représentant de 1%  à 100% (en prairie permanente) du sol superficiel.
Sur le terrain, le mieux est sans doute d’adopter à la fois une attitude de bon sens et d’ouverture : tout faire pour favoriser le développement, la colonisation et l’activité radiculaire des plantes cultivées pour augmenter les surfaces d’échange du végétal avec le sol en restant ouvert aux méthodes « alternatives » (probiotiques, mycorhizations…) qui commencent, dans certains cas, à donner des résultats intéressants.