samedi 14 juillet 2012

Semences : la CJUE rend une décision défavorable aux vendeurs de variétés anciennes

Les directives européennes sur la commercialisation des semences sont valides, estime la CJUE. Une mauvaise nouvelle pour les défenseurs de variétés anciennes non homologuées.
Semences : la CJUE rend une décision défavorable aux vendeurs de variétés anciennes


Par une décision rendue le 12 juillet, la Cour de justice de l'UE a jugé que les directives européennes sur la commercialisation des semences de légumes étaient valides et qu'elles prenaient en compte les intérêts économiques des vendeurs de variétés anciennes, dans la mesure où elles permettaient leur commercialisation sous certaines conditions.
Pourtant, comme le rappelait l'avocat général dans les conclusions qu'il avait rendues sur cette affaire le 19 janvier dernier, "les semences de la plupart des espèces de plantes agricoles ne peuvent être commercialisées que si la variété en question est officiellement admise. Cette admission suppose que la variété soit distincte, stable ou suffisamment homogène (...) il faut que soit en outre établie la capacité de rendement – une « valeur culturale ou d'utilisation satisfaisante » – de la variété. Or, pour bon nombre de « variétés anciennes », ces preuves ne peuvent pas être apportées. La question se pose dès lors de savoir si cette restriction aux échanges de semences est justifiée".
Condamnation pour concurrence déloyale
Par un jugement du 14 janvier 2008, le tribunal de grande instance de Nancy a condamné l'association à but non lucratif Kokopelli au paiement de dommages et intérêts à l'entreprise semencière Graines Baumaux pour concurrence déloyale. Cette juridiction a constaté que Kokopelli et Baumaux intervenaient dans le secteur des graines anciennes ou de collection, qu'elles commercialisaient des produits identiques ou similaires pour 233 d'entre eux et qu'elles s'adressaient à la même clientèle de jardiniers amateurs et étaient donc en situation de concurrence. Le tribunal a considéré que Kokopelli se livrait à des actes de concurrence déloyale en vendant des graines de semences potagères ne figurant ni sur le catalogue français ni sur le catalogue commun des variétés des espèces de légumes.
Kokopelli a fait appel de ce jugement devant la cour d'appel de Nancy, qui, dans le cadre d'une question préjudicielle, a demandé à la CJUE de se prononcer sur la validité de la directive 2002/55 relative à la commercialisation des semences de légumes et de la directive 2009/145 qui autorise certaines dérogations pour les "variétés de conservation" et les "variétés créées pour répondre à des conditions de culture particulières".
Les directives sur la commercialisation des semences sont valides
Pour la Cour de justice, les deux directives sont valides au regard tant des principes du droit de l'UE que des engagements pris aux termes du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (TIRPAA).
En premier lieu, la CJUE considère que le principe de proportionnalité n'est pas violé. "L'établissement d'un catalogue commun des variétés des espèces de légumes sur la base de catalogues nationaux apparaît de nature à garantir" la productivité des cultures de légumes dans l'UE, premier objectif des règles relatives à l'admission des semences de légumes. Ce régime d'admission permet également "d'établir le marché intérieur des semences de légumes en assurant leur libre circulation dans l'Union". Enfin, le régime d'admission dérogatoire mis en œuvre pour les variétés anciennes est "de nature à assurer la conservation des ressources génétiques des plantes", qui constitue le troisième objectif visé par le droit communautaire.
La Cour considère également que les directives contestées prennent en compte les intérêts économiques des vendeurs de variétés anciennes, tels que Kokopelli, dans la mesure "où elles n'excluent pas la commercialisation de ces variétés". Si des restrictions géographiques, quantitatives et de conditionnement sont prévues, ces restrictions s'inscrivent néanmoins dans le contexte de la conservation des ressources phytogénétiques, estime la CJUE.
La juridiction européenne constate enfin que les directives litigieuses ne violent ni les principes d'égalité de traitement, ni celui de libre exercice d'une activité économique, ni enfin celui de libre circulation des marchandises.
La Cour n'a pas suivi les conclusions de l'avocat général
Cette décision de la Cour n'allait pas de soi car l'avocat général, dans ses conclusions présentées le 19 janvier, avait proposé aux juges de déclarer invalide une disposition de la directive 2002/55, dont il estimait qu'elle violait les principes du droit communautaire. Cette disposition était "l'interdiction (…) de commercialiser des semences d'une variété dont il n'est pas établi qu'elle est distincte, stable et suffisamment homogène ni, le cas échéant, qu'elle possède une valeur culturale ou d'utilisation suffisante".
La Cour ne l'a pas suivi, au grand dam des défenseurs des variétés de semences anciennes non homologuées. Il revient maintenant à la cour d'appel de Nancy de juger l'affaire, après avoir pris en compte cette position de la juridiction européenne.

KOKOPELLI


La Cour de Justice, par sa décision rendue aujourd'hui dans l'affaire Kokopelli c. Baumaux, vient de donner un satisfecit intégral à la législation européenne sur le commerce des semences.
Pourtant, le 19 janvier dernier, son Avocat Général nous donnait entièrement raison, en estimant que l'enregistrement obligatoire de toutes les semences au catalogue officiel était disproportionné et violait les principes de libre exercice de l'activité économique, de non-discrimination et de libre circulation des marchandises. (V. ses conclusions)
Ce changement de cap absolu ne manque pas de nous surprendre et de nous interroger.
La Cour, aux termes d'une analyse étonnement superficielle de l'affaire, et d'une décision qui ressemble plus à un communiqué de presse qu'à un jugement de droit, justifie l'interdiction du commerce des semences de variétés anciennes par l'objectif, jugé supérieur, d'une "productivité agricole accrue" !
L'expression, utilisée 15 fois dans la décision de la Cour, consacre la toute puissance du paradigme productiviste. Ce même paradigme, qui avait présidé à la rédaction de la législation dans les années soixante, a donc encore toute sa place en 2012. La biodiversité peut donc être valablement sacrifiée sur l'autel de la productivité.
Cela fait 50 ans que cela dure et le fait que ce raisonnement nous ait déjà amenés a perdre plus de 75% de la biodiversité agricole européenne n'y change donc rien. (V. les estimations de la FAO)
Si la Cour mentionne les dérogations supposément introduites par la Directive 2009/145 pour les "variétés de conservation", son analyse s'arrête à la lecture des grands titres. Comment les juges n'ont-ils pas voulu voir que les conditions d'inscription des variétés de conservation, dans la réalité, étaient restées pratiquement identiques à celles du catalogue officiel normal [1]? Le critère d'homogénéité, par exemple, particulièrement problématique pour les variétés anciennes, ne connaît aucune modération.
La Cour n'a-t-elle pas lu les témoignages de nos collègues européens, déjà confrontés à des inscriptions impossibles de leurs semences sur cette liste ?
Cette directive est un véritable leurre, que Kokopelli et tant d'autres organisations européennes ont déjà dénoncé, et ne vise pas à permettre la commercialisation des variétés anciennes ni même à conserver la biodiversité semencière.
De plus, cette biodiversité, qui a nourri les populations européennes pendant les siècles passés, est l'objet de la plus grande suspicion. La Cour va ainsi jusqu'a écrire, par deux fois, que la législation permet d'éviter "la mise en terre de semences potentiellement nuisibles" !
Cette remarque est totalement erronée puisque, comme l'avait justement relevé l'Avocat Général, l'inscription au Catalogue ne vise pas à protéger les consommateurs contre un quelconque risque sanitaire ou environnemental, auquel la législation ne fait même pas référence !
Cette remarque, surtout, est choquante, quand on pense que les semences du Catalogue, enrobées des pesticides Cruiser, Gaucho et autres Régent, ou accompagnées de leur kit de chimie mortelle, empoisonnent la biosphère et les populations depuis plus de cinquante ans !
Le lobby semencier (European Seed Association), qui a pris le soin, pendant le cours de la procédure, de faire connaitre à la Cour son désaccord avec l'avis de l'Avocat Général, se réjouit, dans tous les cas, de cette totale convergence de vues avec la Cour. (V. son communiqué et sa lettre adressée à la Cour.)
Nos adversaires directs dans cette procédure, c'est-à-dire la société Graines Baumaux, mais aussi la République Française, le Royaume d'Espagne, la Commission Européenne et le Conseil de l'UE, doivent également s'en frotter les mains.
Avec cette décision, les masques tombent : la Cour de l'Union Européenne est, elle aussi, au service de l'agriculture chimique mortifère et de son idéologie corruptrice.
Et Kokopelli, au contraire de tout ce qui a pu se lire ces derniers mois, n'a aucun intérêt convergent avec Monsanto et autres semenciers-chimistes. Ces craintes exprimées par certains n'étaient qu'élucubrations fantaisistes, voire malveillantes, à l'égard de l'association.
Mais tout cela se comprend par l'examen du contexte dans lequel prend place cette décision : en Europe, une réforme générale de la législation sur le commerce des semences est en cours. La procédure est placée sous le haut parrainage de l'industrie semencière. Les associations de sauvegarde de la biodiversité, petits producteurs, paysans et jardiniers passionnés, qui, à travers toute l'Europe, conservent clandestinement plus de variétés oubliées que tout ce que le catalogue des variétés appropriées n'en pourra jamais contenir, n'ont pas été invitées à la table des négociations…
Verra-t-on, dans ce cadre, le législateur européen redéfinir ses priorités ? Les semenciers veilleront à ce que cela ne soit pas le cas.
La France, dans ce cadre, joue un rôle particulier. Le Ministère de l'Agriculture a dépêché l'une des collaboratrices du GNIS [2], Mme Isabelle Clément-Nissou, auprès de la Commission Européenne (DG SANCO), afin de rédiger le projet de loi ! Mais les conflits d'intérêt, inadmissibles, ne semblent choquer personne au niveau des institutions européennes…
Ainsi, l'étau se resserre et les perspectives pour la biodiversité n'ont jamais été aussi sombres.
Et l'Association Kokopelli, qui depuis 20 ans veille avec passion à la préservation du patrimoine semencier européen, bien commun de tous, sans la moindre subvention publique, pourrait donc bien disparaître demain, car son activité, qui gêne l'une de nos sociétés commerciales les mieux installées, ne présente pas d'intérêt pour une "productivité agricole accrue". Cette décision nous sidère, autant qu'elle nous indigne.
Plus que jamais, Kokopelli a besoin du soutien moral de la population. Car il n'est pas admissible que les variétés anciennes, héritage de nos grands-parents, soient interdites de cité !
Nous en appelons également à notre gouvernement. La gauche, sous les précédents gouvernements de droite, nous a dit pouvoir compter sur son soutien à de nombreuses reprises. Il est temps maintenant qu'elle transforme ses promesses en actes (en commençant par retirer son mandat à Mme CLEMENT-NISSOU) !
Kokopelli, le 13 juillet 2012.
[1] La directive 2009/145 prévoit que les critères de distinction et de stabilité sont laissés à la discrétion des Etats membres et que, par contre,«pour l'évaluation de l'homogénéité, la directive 2003/91/CE s'applique» : art. 4 §2
[2] Le GNIS représente les semenciers professionnels en France et dit officiellement «défendre les intérêts de la filière semence» V. son site Internet
Ce que nous voulons, sur le plan législatif et réglementaire :
Le Catalogue officiel actuel est le pré-carré exclusif des variétés protégées par des droits de propriété intellectuelle, hybride F1 non reproductibles. Qu'il le reste.
Nous voulons que les semences anciennes et nouvelles appartenant au domaine public et librement reproductibles sortent du champ d'application de la législation sur le commerce des semences.
Il n'existe pas de catalogue officiel obligatoire pour les clous et les boulons. Il n'y a pas de raison de soumettre les semences à une procédure préalable de mise sur le marché, comme les pesticides ou les médicaments, pour les cataloguer dans un registre.
Des objectifs de qualité et de loyauté dans les échanges commerciaux peuvent être aisément atteints par un règlement de base fixant des critères minimums en termes de qualité sanitaire, faculté germinative, pureté variétale et pureté spécifique.
Que demande la société Graines Baumaux ?
Notre adversaire devant la Cour d'Appel de Nancy demande la condamnation de Kokopelli à lui payer 100.000 €uros de dommages-intérêts, ainsi que la cessation de toutes les activités de l'association. Pour information, au 30 juin 2011 la société Baumaux avait un chiffre d'affaire annuel de 14 millions d'€uros et un résultat net de 2 millions d'€uros.